jeudi 1 novembre 2012

FETE DE LA TOUSSAINT 2012




(Cathédrale N.D des Victoires, le 01er  novembre 2012)





Homélie


          Frères et sœurs en Jésus-Christ,

  
          « Réjouissons-nous tous dans le Seigneur ». Telle est l’invitation qui
ressort de l’antienne d’ouverture, en ce jour où nous fêtons tous les Saints.
Aujourd’hui, en effet, commente le Pape Benoît XVI, « l'Église fête sa dignité
de "mère des saints, image de la cité céleste", et manifeste sa beauté d'épouse
immaculée du Christ, source et modèle de toute sainteté. » (Homélie de la
Toussaint, 2010). Dans ces traits qui lui sont reconnus, l’Eglise, en chacun de
ses membres, manifeste sa tension entre un déjà-là et un pas encore clairement
déterminés dans la Préface de ce jour : « … nous fêtons aujourd’hui la cité du
ciel, notre mère la Jérusalem d’en haut (…) Et nous qui marchons vers elle par
le chemin de la foi, nous hâtons le pas, joyeux de savoir dans la lumière, ces
enfants de notre Eglise que tu nous donnes en exemple. »


          1- « Nous hâtons le pas, joyeux… » Voilà décrite, en peu de mots, la
disposition concrète qui anime le cœur des croyants dans la vénération des
Saints, et qui, par le fait même, donne sens à notre célébration. A la question de
savoir : à quoi sert notre vénération des Saints ?, Saint Bernard répondait : « Nos
saints n'ont pas besoin de nos honneurs et ils ne reçoivent rien de notre culte.
Pour ma part, je dois confesser que, lorsque je pense aux saints, je sens brûler
en moi de grands désirs » (Disc. 2; Opera Omnia Cisterc. 5, 364sqq).

          Telle est donc la signification de la fête de la Toussaint : ranimer en
nous, en chacun et chacune d’entre nous, le désir d’être comme les Saints,
en nous laissant séduire par le lumineux exemple de leur vie. Or ce désir
n’est ni abstrait ni lointain ; il doit se dessiner et s’exprimer dans le
cheminement quotidien de tout croyant.

          Les Saints ne sont pas seulement ceux, dont les noms figurent sur nos
calendriers ; ils ne sont pas seulement une élite, dont les noms sont figés dans le
temps et dans l’histoire. Ils sont aussi de notre temps, de notre époque, de nos
milieux ; ils continuent de rendre toujours actuelle la vocation de tout croyant
d’ « être saint comme notre Père Céleste est Saint. » (Lv 19, 2 ; Mt 5, 48) Leur
vie et leur témoignage s’épanouissent comme un parfum, qui stimule en nous
ces grands désirs, dont nous parle Saint Bernard, et qui consolident en nous
cette grande conviction de Saint Paul : Dieu « nous a élus, en Jésus-Christ, dès
avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans
l'amour. » (Ep 1, 4) Mais quels sont ces désirs ?

          C’est d’abord un désir de salut, un désir d’obtenir « d'être concitoyens et
compagnons des esprits bienheureux, d'être mêlés à l'assemblée des patriarches,
à la troupe des prophètes, au groupe des Apôtres, à la foule immense des
martyrs, à la communauté des confesseurs, au chœur des vierges ; bref d'être
associés à la joie et à la communion de tous les saints (…) »

          Ce désir de salut, chers frères et sœurs, peut et doit allumer en nous
l’ardeur de  déployer ces efforts, qui nous ramènent à la vie de chaque jour, à la
« grande épreuve », dont nous parle Saint Jean, dans la première lecture ; ces
épreuves de la vie que les Saints nous apprennent à affronter et à vaincre avec la
force de la foi et la pratique de la charité. « Qui peut, en effet, gravir la
montagne du Seigneur et se tenir dans le lieu saint, s’interroge le Psalmiste ?
L’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux
idoles. » (Ps 23, 3-4)

          Les mains innocentes signifient une bonne vie relationnelle, celle qui, le
plus souvent possible, nous libère de la tentation de plier l’autre à notre volonté
ou alors de la tentation de nous fermer à l’autre et à ses besoins, au lieu de lui
ouvrir notre cœur et nos mains pour le servir, pour lui venir en aide. Les mains
innocentes signifient pour nous aujourd’hui au Sénégal ouvrir encore et toujours
davantage notre cœur et nos mains aux victimes des inondations, de la pauvreté
croissante, de la maladie, des injustices sociales.


          Le cœur pur est l’image éloquente de ce qu’il y’a au plus profond de
l’homme, de son intériorité, lieu de l’amour du bien, de l’amour de Dieu, de
l’amour des autres. Il représente ce qui rend l’homme réellement homme, c’està-dire

une personne créée à l’image de Dieu, qui est amour. Le cœur pur
représente ces merveilleuses capacités de l’homme à s’ouvrir aux autres, à leur
prêter attention, à compatir à leurs épreuves, à les soulager dans la solitude, le
dénuement, la maladie.

          C’est dans ces racines de l’être que mûrissent nos intentions, que se
construit notre personnalité. Si nous cherchons Dieu de tout notre cœur, si nous
cherchons à nous ajuster à Lui, dans notre cœur, nous ne pourrons qu’être
authentiques dans nos sentiments, nos choix, nos relations et toutes nos
conduites. Alors seront rejetés loin de nous la fausseté, le mépris, l’orgueil, la méchanceté et la violence, disons tout ce, qui nous empêche d’être humainement
épanouis, et d’être spirituellement « saints comme notre Père Céleste est Saint. »


          2- Mais la question demeure : comment pouvons-nous être saints ? Le
serons-nous par nos propres forces ? C’est là qu’intervient le second désir : voir,
comme les Saints, le Christ nous apparaître, et nous accrocher docilement à
sa main pour nous laisser conduire dans sa gloire. « Une vie sainte, disait le
Pape Benoît XVI, lors de son Audience Générale du 13 avril 2011, n’est pas
principalement le fruit de notre effort, de nos actions, car c’est Dieu, le « trois
fois Saint » (cf. Is 6, 3), qui nous rend saints, c’est l’action de l’Esprit Saint qui
nous anime de l’intérieur, c’est la vie même du Christ ressuscité, qui nous est
communiquée et qui nous transforme. »

          Nous accrocher à la main de Dieu, dans la vie concrète du croyant, c’est
prendre conscience de la présence de son Fils Jésus-Christ, et s’engager, avec
Lui, à être artisan de son amour et de sa charité au milieu des hommes. Cette
conscience acquise, le croyant « se rend pur », en tous ses actes, comme le
Christ « lui-même est pur » (1 Jn 3, 3), d’où la grande inspiration de Saint
Augustin lorsqu’il dit : « Aime et fais ce que tu veux ! » Et il poursuit : « Si tu te
tais, tais-toi par amour; si tu parles, parle par amour; si tu corriges, corrige par
amour; si tu pardonnes, pardonne par amour; qu’en toi se trouve la racine de
l’amour, car de cette racine ne peut rien procéder d’autre que le bien »
(Commentaire à la Première Lettre de Saint Jean 7, 8: PL 35).


          3- Aimer ! Tel est le programme de sainteté que nous propose Jésus, en
ce jour. Tel est le programme que Lui, Jésus, a suivi et vécu, de la manière la
plus parfaite et qui pourrait résumer la belle page des Béatitudes, qu’il nous
scande dans l’Evangile. « Heureux… ! » Oui ! Heureux  sommes-nous, quand
l’amour se dresse au centre de nos préoccupations, de nos devoirs et de nos
droits.

          Pour nous chrétiens, cet amour est loin d’être un concept, une formule
abstraite. Il a un nom : Jésus-Christ ; il a un objet : Jésus-Christ et tous ceux
qu’Il aime. L’amour trouve tout son sens en Lui, raison pour laquelle, il ne peut
être ni nocif ni dégradant pour l’homme, dont Jésus a voulu prendre la
condition. « Plus nous imitons Jésus et demeurons unis à Lui, dit le Saint Père,
plus nous entrons dans le mystère de la sainteté divine. Nous découvrons qu'Il
nous aime de façon infinie, et cela nous pousse à notre tour à aimer nos frères.
Aimer implique toujours un acte de renoncement à soi-même, de "se perdre soimême" et, précisément ainsi, cela nous rend heureux. »
          « Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu ! » C’est la béatitude que
Saint Matthieu place au centre du discours de Jésus, entre les cinq premières qui
naissent de la vie intérieure même du croyant (pauvreté de cœur, douceur,
amertume, faim et soif de justice, miséricorde) et les quatre dernières qui se
présentent comme le fruit visible de cette disposition intérieure (œuvre de paix,
sérénité dans la persécution, l’insulte et le faux témoignage, bonheur).

          La vision de Dieu est promise, quand il s'agit d'hommes au cœur pur. Cela
n'est pas sans raison, puisque les yeux qui permettent de voir Dieu sont dans le
cœur. Ce sont les yeux dont parle l'Apôtre Paul quand il dit : « Puisse-t-il
illuminer les yeux de votre cœur ! » (Ep 1,18)

          4- Dans le quotidien de la vie de l’homme, marqué par la faiblesse, la
tendance et la chute dans le péché, c’est la foi qui illumine ces yeux du cœur.
Dans la gloire des Saints que nous espérons tous partager un jour, ils seront à
jamais illuminés par la vision de Dieu : « dès maintenant, écrit Saint Jean, nous
sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons ne paraît pas encore
clairement (…) Lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui
parce que nous le verrons tel qu’il est. » (1 Jn 3, 2) L’amour dont témoigne le
disciple de l’Evangile est comme le droit chemin qui le porte à la vision de Dieu.
Dans ce sens, les Saints que nous célébrons, et dont nous invoquons le soutien
constant, nous servent d’exemples et nous inspirent. Or le code de leur vie, ce
sont les Béatitudes proclamées par le Christ : ils se sont efforcés, toute leur vie
durant, de les intérioriser, de les vivre et d’en témoigner à la suite de Jésus Christ, grâce à la lumière et la puissance de l’Esprit Saint.

          Aujourd’hui, les Saints nous invitent à prendre ce chemin, où l’humilité,
la douceur, la patience et la droiture inspirent et font éclore la paix, le pardon, la
persévérance et le bonheur. La pratique de ces vertus ne nous met pas seulement
en communion avec le Christ et le prochain ; mais elle nous unit également à
tous ceux qui nous ont précédés et qui partagent désormais la vie du Ressuscité.
« Il a plu à Dieu, enseigne le Concile Vatican II, que les hommes ne reçoivent
pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel » (LG 9).

          La grâce de sainteté est donc en quelque sorte « organique » : nous
participons à la sainteté du Corps ecclésial du Christ ; ou encore : à la sainteté de
son Épouse, qu’il a voulu « rendre sainte en la purifiant par le bain du baptême
et la Parole de vie ; il a voulu se la présenter à lui-même, cette Église,
resplendissante, sans tache, ni ride, ni aucun défaut ; il la voulait sainte et
irréprochable » (Ep 5,26-28).
          En cette Année de la Foi, frères et sœurs, il est plus que jamais urgent de
prendre conscience de cette dimension communautaire de la sainteté. Tous
saints ! Tous ensemble saints, car la foi que nous professons, cette foi qui inspire
et oriente nos actions de tous les jours nous relie à Jésus-Christ « venu dans le
monde pour que tous aient la vie » (Jn 10, 10) et que tous soient sauvés. C'est en
partageant la Parole et le Pain, dans la célébration eucharistique, que nous
constituons par excellence le peuple saint, celui qui est rassemblé par l'amour et
qui le rayonne dans la vie quotidienne.

          Que grandisse en nous, par l’intercession de la Bienheureuse Vierge
Marie, modèle et miroir de sainteté, la conscience de notre appartenance au
Ciel ! Qu’elle et tous les Saints nous obtiennent la grâce d’avoir toujours à cœur
de faire grandir en nous le désir de chercher Jésus-Christ, le désir de le
rencontrer, le désir de lui ressembler, de le servir en chacun de nos frères, pour
la gloire de Dieu et le salut du monde. Amen !


Le Cardinal SARR
Archevêque de Dakar