lundi 17 octobre 2011

Que la terre lui soit légère

OBSEQUES DE FRERE JEAN-BAPTISTE 
27 SEPTEMBRE 2011
Sag.3,1-9 ; Jn 12,20-28

OBSEQUES DE FRERE JEAN-BAPTISTE 
Sag.3,1-9 ; Jn 12,20-28

HOMELIE : LA MYSTERIEUSE FECONDITE DE LA CROIX REDEMPTRICE DE JESUS
Chers Amis, tenons ferme dans la foi. De  même qu’il y a un vendredi saint dans la vie du chrétien il y a également pour lui le jour radieux de la résurrection. C’est pourquoi il ne peut pas sombrer dans la désespérance. Sans vendredi saint, point de résurrection pour le chrétien. Depuis que le mal, le péché, est entré dans notre histoire d’homme, l’Amour de Dieu s’est manifesté encore de plus bel ; il s’est affirmé par le drame pourrait-on dire de l’Incarnation et de la Rédemption. Je dis bien “drame“ de l’Incarnation car cet abaissement d’un Dieu revêtu de notre nature humaine, excepté le péché, est un fait inouïe : ainsi donc, il s’est soumis à la loi qui pèse sur tout homme y compris la mort ; drame du mystère de la Rédemption où le Christ a subi la mort sur une croix. Tout ceci sous le Regard contemplatif de Marie qui méditait et gardait tous ces événements de salut dans son Cœur immaculé. La vie de Jésus sur terre nous montre à la fois  la monstruosité du péché en même temps que la grandeur ineffable de l’Amour de Dieu pour l’homme devenu son frère.
Heureux vendredi saint qui nous conduit droit à la Résurrection ! C’est là où sont bâtis notre foi, notre espérance et tout notre amour confiant en Dieu qui a tant aimé les hommes qu’il leur a envoyé son Fils unique pour qu’il devienne leur Rédempteur comme nous l’enseigne l’Apôtre saint Jean.
Chers frères et sœurs, chers amis, ne pleurez pas ! Ne pleurons pas comme ceux qui sont sans foi ni espérance. Mais puisque les sentiments humains sont profondément affectés et meurtris, pleurons du moins comme ceux qui croient et qui espèrent. L’Amour de Dieu pour l’homme est invincible, il est ineffable, il est sans repentance. Dieu ne se dédie pas. Il nous a aimés le premier alors que nous étions encore pécheurs… Il nous aime et nous aimera toujours. Il nous le manifeste à travers toutes sortes d’événements petits ou grands, joyeux, douloureux, glorieux ou lumineux. Merci Seigneur Dieu pour ce nouvel éclairci de ta bonté et de ta miséricorde.
Chers Amis, ne pleurons pas, ne tremblons pas  comme des désespérés. Que par la force de la grâce de Dieu notre foi prenne le dessus ainsi que notre espérance en ce Dieu Très bon qui sait et comprend notre peine de ce jour.
Mes salutations cordiales spéciales à tous les membres de la famille de notre regretté frère Jean-Baptiste. Il a été fauché en pleine activité, au service de ses frères et de l’Eglise. Au nom de toute la communauté monastique et de tous ceux qui nous sont unis par la prière, je dis merci aux parents de Frère Jean-Baptiste ; je les félicite parce qu’ils ont été courageux et généreux de donner leur enfant, unique garçon, au service de l’Eglise.  Chers Amis, Rassurez-vous, soyez même fiers de  ce fils, très cher. Il était entièrement donné à sa vocation monastique : digne fils de saint Benoît, heureux et joyeux de célébrer les louanges du Seigneur avec sa belle voix d’une exceptionnelle beauté. Mais, voyez-vous, le Seigneur semble se rire un peu de nos compétences auxquelles nous tenons tant. Ce qu’il demande de nous aujourd’hui et toujours c’est vraiment notre conversion, notre retour sincère vers lui par  le don de notre cœur, entièrement  gagné à sa cause. Frère Jean-Baptiste aura été agréable à Dieu parce qu’il lui aura tout donné, le meilleur de lui-même, chaque jour et en toute simplicité de cœur.
A 33 ans, comme Notre Seigneur, Frère Jean-Baptiste a remis entre les mains de Dieu sa belle âme. Trente trois ans, allons-nous dire : L’âge des rêves et des folies ! Frère Jean-Baptiste en avait. Mais le Seigneur a préféré accomplir en lui les siens que nous estimons meilleurs même si nous ne le comprenons pas aujourd’hui. Les rêves et les folies du Seigneur à notre endroit, c’est sa passion pour nos âmes : “La volonté de Dieu c’est votre sanctification“ (1 Th 4,). La jeunesse naturelle et la jeunesse du cœur de notre frère ressemble à la jeunesse de Dieu qui n’a ni rides ni flétrissures : Car l’amour de Dieu ne vieilli pas. Cet amour est fécond parce que patiemment, laborieusement cultivé dans l’enceinte du cloître et arrosé de prière et de sacrifices librement consentis. Voilà pourquoi nous osons reprendre avec confiance ces paroles de l’Evangile que nous venons d’entendre : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas il reste seul, mais s’il meurt il porte beaucoup de fruit. »
Nous croyons au mystère fécondant d’une vie donnée à la suite du Christ et reprise à fleur de l’âge à l’instar du Christ : loin d’être un gâchis, c’est un nard à grand prix versé par débordement d’amour, je dirai, par miséricorde; il aura sa récompense : Les âmes des justes sont dans la main de Dieu, aux yeux des insensés, ils ont paru mourir mais ils sont dans la paix, nous crie la Sagesse.
Cependant, vous voudriez bien entendre ma plainte qui sort d’un cœur meurtri c’est l’écho de beaucoup d’entre vous sinon de tous. Certes, nous pardonnons de tout cœur ; nous ne portons aucune plainte contre qui que ce soit à l’occasion de cet accident meurtrier. Mais je me plaindrais fort et haut devant le Seigneur et devant vous tous ici réunis ; j’en appelle à la conscience professionnelle des conducteurs dans notre pays et bien au-delà.... Au Sénégal, on constate de plus en plus de gros porteurs qui foncent à toute allure sur des routes mal adaptées, sans grand ménagement des autres véhicules ni des passants : cela est insensé.
Vous tous qui prenaient le volant, ayez du respect pour votre propre vie et celle d’autrui ; pensez à votre propre famille et à la famille de vos semblables. Ce rappel à la conscience professionnelle je le lance également à tout citoyen : tout citoyen qui traverse la route sans précaution met sa propre vie en danger mais aussi celle des autres : cela est absurde, insensé. C’est la charrette à âne qui aurait coûté la vie à notre frère comme à tant d’autres. Il est trop facile de dire que c’est Dieu qui l’a voulu ainsi. Non ! Le fatalisme aveugle est inconcevable,  inacceptable. Dieu a créé l’homme intelligent et lui a doté d’une bonne volonté libre capable de choisir le bien ou le mal. Nous sommes quelque part responsables de nos actes sauf dans le cas de l’impossible. Ne risquons donc pas de devenir assassins de nos frères en chemin en négligeant de prendre les soins les plus élémentaires afin d’éviter le pire. Telle est ma plainte que je voudrais porter haut devant le Seigneur mais aussi devant les autorités compétentes qui voudraient bien entendre ma voix qui est celle des victimes muettes mais dont le sang réclame justice vers le Seigneur. 
La descente du corps de notre frère du car rapide était sa descente de sa croix : vraie figure du Christ soufrant à travers toute personne en détresse ; sa tunique monastique était maculée de sang ! Il était beau. Merci aux pompiers qui ont pris soin de lui ; délicatement, respectueusement ils l’ont déposé sur un lit de fortune : il semblait sourire, innocent il a vécu, innocent, il est parti, trop tôt pour nous, certes, mais non pas pour Dieu qui sait tout et comprend tout. Sa maman, une femme forte, deux jours après le drame m’appelle pour m’exhorter à prier ! J’en étais bouleversé. Comme un onagre sauve, de force, Jean-Baptiste a été dompté mais non vaincu : il triomphe de la mort qui ne saurait interrompre sa course folle vers les hauteurs. Car il n’y a pas d’échec là où fleurit la plénitude de la Vie. C’est bien pour cette Rencontre ultime qu’il s’est fait moine, c’est-à-dire, homme de Dieu, homme du “Sanctus“, de la louange perpétuelle[1] solennelle!

Chant : « Heureux qui va joyeux sous le joug de Jésus ! Heureux qui s’en remet au désir de son Dieu ! Heureux qui rend l’esprit par la voix de Jésus !
Des chemins s’ouvrent dans son cœur, il siègera sur le trône du Fils. Au Paradis de Dieu, vainqueur, il recevra les vêtements de joie.
Heureux qui perd sa vie sur la Croix de Jésus ! Heureux qui reçoit tout de la main de son Dieu ! Heureux qui meurt d’aimer dans l’amour de Jésus !
Des chemins s’ouvrent dans son cœur, il ira boire à la source du ciel. Au Paradis de Dieu, vainqueur, il recevra l’héritage promis. » (Lit. KM 160-161).
Seigneur que cette mort violente et rapide nous ramène à l’essentiel de la vie de l’homme pèlerin, fragile et fugace sur terre : chercher la face de Dieu, le visage vrai du Seigneur à travers sa Parole comme Marie qui gardait tous les événements qui la touchaient, en même temps que la vie de son Fils et de son Peuple, dans son Cœur Immaculé ; chercher le visage vrai de Dieu à travers les sacrements de l’Eglise, à travers sa loi de charité, à travers tous les frères humains.
« Tu m’as donné mes jours à la petite mesure, (Seigneur), à ton échelle ma durée n’est rien : en vérité, les humains ne pèsent guère. L’homme fait son chemin, tout comme une ombre ; il se démène, mais il n’est qu’un souffle ; il accumule, mais il ne sait qui aura le tout (…).  Je ne suis qu’un hôte sur tes terres, rien qu’un passant, comme ont été mes pères. Ne me regarde plus ainsi, que je respire, avant que je parte et ne sois plus rien. » (Ps 39,6-7.13-14).
Je termine par les paroles réconfortantes du Pape : « Dans la douleur, dans le danger, dans l’amertume de l’incompréhension et de l’offense, les paroles du Psaume 3 ouvrent notre cœur à la certitude réconfortante de la foi. Dieu est toujours proche – même dans les difficultés, dans les problèmes, dans les ténèbres de la vie – il écoute, il répond et il sauve à sa façon (…) Que le Seigneur nous donne foi, qu’il vienne en aide à notre faiblesse et qu’il nous rende capables de croire et de prier à chaque angoisse, dans les nuits douloureuses du doute et dans les longs jours de douleur, en nous abandonnant avec confiance à Lui, qui est notre « bouclier » et notre « gloire[2]».
Nos remerciements sincères et émus à toute cette belle et prestigieuse assemblée. Vous êtes venus très nombreux  jusqu’ici, nous manifester votre sympathie, votre communion de cœur et d’âme dans la douleur mais aussi dans la grande espérance. Merci  pour ce geste d’amitié ; ainsi donc, vous vous  unissez à beaucoup d’autres qui, de loin ou de près, vivent l’épreuve avec nous, à ce  moment très dense de la célébration eucharistique qui nous rappelle d’emblée le jour, ô combien solennel, de notre consécration définitive à Dieu.

Que l’âme de Frère Jean-Baptiste et de tous les fidèles défunts reposent dans la paix et que la lumière du Christ ressuscité brille sans fin à jamais sur eux, par l’intercession de Notre-Dame, de saint Joseph, saint Jean-Baptiste et de tous les saints. Amen.




*

* + *


[1] la “laus perennis“
[2] Benoît XVI, Audience générale du 7 Sept. 2011 : Méditation sur les Psaume 3. « Dieu entend et répond au cri de l’homme. », L’OSSERVATORE ROMANO du jeudi 8 Sept. 2011, p. 2-3.